Jean-Jules Soucy

Le Monument Art de l'an 2000: un projet très spécial
mai 1999

par Denise Pelletier

LA BAIE(DP) - Qui ne connaît pas Jean-Jules Soucy? Quand il crée une oeuvre, ce n'est jamais une simple toile ou sculpture: c'est un concept, un projet qui mobilise une bonne partie de la population, qui met La Baie, la ville où il est né et où il réside, pourrait-on dire, avec une ferveur toute particulière, au premier plan de l'actualité culturelle et sociale. Si certains n'y voient qu'idées farfelues ou entreprises loufoques, la plupart des gens, qu'ils soient spécialistes en art ou simples amateurs, reconnaissent que Jean-Jules Soucy est un créateur dans toute la force du mot.
Actuellement, il est plongé, pour ne pas dire totalement immergé dans le projet Monument Art de l'an 2000, certainement son entreprise la plus ambitieuse jusqu'à maintenant. Ce n'est pas qu'il soit lui-même ambitieux. C'est qu'il a voulu accomplir quelque chose de spécial, d'unique, de rassembleur pour la population afin de souligner le passage du déluge de l'été 1996. Afin surtout de rappeler tous les efforts accomplis, les actions et les travaux entrepris depuis lors dans une perspective de reconstruction, qui sont donc porteurs d'espoir. Et en cours de route, le projet «accroche» tout ce qui se trouve sur son passage, englobe de plus en plus d'aspects, de volets, d'idées, d'éléments, de sorte qu'il a pris une ampleur qui surprend Jean-Jules Soucy lui-même.
Curieusement, l'idée de départ du projet lui est venue avant même l'inondation de l'été 1996. Ayant déjà reçu des bourses de type B, il s'était vu refuser à trois reprises une bourse de type A. Jean-Jules Soucy a donc eu l'idée d'inventer une nouvelle bourse, la bourse de type D. Qui lui fut refusée bien entendu, les gestionnaires de ces programmes gouvernementaux n'entendant pas à rire. Mais après le déluge, poursuivant sa réflexion sur ce thème, il a eu l'idée, en soumettant son projet à Ville de La Baie, de demander comme salaire le montant d'une bourse de type D, qui se situerait entre celui d'une bourse A et celui d'une bourse B, ce qui lui fut accordé, soit dit en passant.

Ces trois lettres, a, b, et d ont alors servi de base à l'élaboration de son projet, axé sur deux idées principales: le goût des d (d'aider) et les lettres b, d, a, a, auxquelles il a ajouté p et q, pour faire «bdaapq» ou Baie des Ha!Ha!, PQ. Le A majuscule a la forme de la lettre grecque delta, qui est aussi un triangle équilatéral. Et 64 petits deltas forment un grand delta, qui est aussi un A. Trois deltas réunis par les côtés font une pyramide. Six deltas réunis par la pointe forment  un hexagone dont les faces, repliées les unes contre le autres, forment un cube. Un cube, c'est un dé, un d. Par ailleurs, le delta, c'est aussi la forme des panneaux routiers «cédez», ou c, d.
Le projet réalisé autour de ces concepts comprend trois éléments: une immense pyramide d'aluminium formée de panneaux «cédez» et renfermant une scène de spectacle, la reconstruction du lit de la rivière des Ha!Ha! en pointes d'humour de céramique, et l'érection d'une place publique. Un projet monumental pour lequel une corporation a été mise sur pied à La Baie (voir autre texte).
Dans son atelier, près de l'école Saint-Alphonse, avec ses deux assistantes, les soeurs Ann-Margaret et Elizabeth Tremblay, Jean-Jules Soucy construit actuellement des modules de carton, tous issus de l'idée de base de son projet. Comme cette idée comporte de nombreux éléments récursifs, on peut multiplier à l'infini les concepts, motifs, objets qui peuvent en découler.
Ainsi, il travaille actuellement à préparer une exposition qui sera présentée à compter du mois d'octobre au Musée d'art contemporain de Montréal. Elle aura pour thème «L'oeuvre en TI», subdivisé en quelques volets dont le premier s'appelle «enti-hier», et le second «en Ti-cristaux», clin d'oeil au travail de l'artiste Cristo. L'une de ces innombrables séries de cubes, de triangles, et d'hexagones qui s'emboîtent et se juxtaposent a été conçue en bleu et blanc, ce qui lui donne l'aspect de cristaux de glace ou de neige. Il y aura un troisième volet, que Jean-Jules Soucy ne veut pas pour l'instant dévoiler publiquement. A partir de ces formes est née l'idée du motif de type décoratif, indéfiniment répété sans solution de continuité: on pense inévitablement au papier d'emballage, et Jean-Jules Soucy y a pensé aussi: il a fait confectionner ce type de papier.
Tout cela est fort complexe, et nous n'avons parlé ici que de certaines idées reliées au projet: multiples, elles ne cessent de naître et de se développer dans l'imagination fertile de l'artiste. Entre autres les lettres a, b, c, d renvoient au système anglo-saxon de notation musicale: conjuguées au nom français des mêmes notes, la, si, do, ré, elles produisent tout un réseau de références sonores et de renvois textuels percutants, du type «ré c'est d». Un volet important du projet est relié à l'histoire de l'art et de l'architecture, qui fait référence aux pyramides d'Égypte, à la pyramide du Louvre et à l'Obélisque à Paris, aux travaux de Man Ray, et de Marcel Duchamp: aux objets ready-made de ce dernier succèdent donc les objets «archi-made» de Jean-Jules Soucy!